Rivalité et antagonismes espagnols et français à la Diète
Louis XIV va alors tenter de gagner l’appui des états de l’Empire pour permette de créer des instabilités et des cessions dans l’Empire. [1] La France va presser ses efforts à la Diète impériale car celle-ci est une plateforme de concertation internationale, surtout pour la France. les Rois de France y accréditent des agents et des Ministres pour en influencer les décisions.[2] On envoi dès lors à de nombreuses reprises des missions spéciales et extraordinaire à la Diète de Ratisbonne.[3] C’est dans ce contexte de guerres multiples de Réunions menées par la France qu’intervient son interlocuteur principal. En face des Neuveforge, la France dispose d’un diplomate de poids en la personne de Louis de Verjus (1629-1709) qui devient Plénipotentiaire à la Diète impériale dès juillet 1679,[4] fils du comte de Crécy, secrétaire de la chambre et du cabinet du roi mais également du Cardinal de Retz, conseiller d’État. Louis XIV le nomme plénipotentiaire à la Diète de Ratisbonne ainsi qu’aux autres assemblées de l’Empire.[5]
À son retour d’une mission diplomatique en Portugal en 1670 employé en Allemagne, dans les cours des Princes de Brunswick et auprès de l’Electeur de Brandebourg, il a donc une expérience diplomatique particulière et utile au cas allemand.[6] Ce qui le distingue de ses confrères, c’est son approche non conventionnelle : sa grande sagesse, une mesure admirable, et une finesse rare dans l’art de contrer les diplomates adverses. C’est un adversaire particulièrement redoutable face à la famille Neuveforge.[7]
La directive principale de Verjus concernant sa position à la Diète était « […] principalement à affermirde plus en plusla paix et la tranquillité que le traité de Nimègue vient de rendre à l’Empire.[8]» Cette tranquillité assurée par les traités de Nimègue (1678-1679) consiste en la restitution ou l’échange de certaines villes ou principautés entre la France, l’Espagne, la Hollande et le Saint-Empire, mais qui assure à la France qu’il n’y a plus d’enclaves espagnoles en France, ni de places françaises isolées aux Pays-Bas espagnoles. Cette assurance fixe également une nouvelle frontière entre Pays-Bas et France que Vauban va fortifier avec sa « ceinture de fer » dans cette politique de défense du pré carré français.[9] Un autre objectif intéressant de Louis XIV vis-à-vis du Saint-Empire pourrait être interprété comme une demande de « repos », c’est-à-dire une non-intervention de celui-ci dans les conflits que le roi de France s’apprêtait à déclencher. Cependant, en y prêtant plus d’attention, on peut y discerner une menace voilée derrière des paroles apaisantes, une stratégie qui s’inscrit pleinement dans les pratiques diplomatiques de l’époque :
« Sa première vue doit être de bien confirmer les Etats de l’Empire dans la pensée que sa Majesté ne souhaite rien davantage que leur repos […] durant ces derniers troubles elle a été obligée de porter ses armes dans l’Empire […] qu’elle ne voulait rien d’avantage que de les voir rétablis dans toute leur force.[10] »
Cette ambition française s’inscrit dans une logique cohérente de la politique de Louis XIV, fondée sur le principe du « diviser pour mieux régner ». Le roi cherche à apaiser le Saint-Empire afin d’empêcher les empereurs — alliés naturels et fraternels de l’Espagne — de former une coalition contre la France. C’était une stratégie directement opposée aux objectifs des Neuveforge. Ces derniers s’efforcent, au contraire, de mobiliser les forces impériales en faveur des Pays-Bas espagnols. Pour cela, ils militent activement en faveur de l’intégration du Cercle de Bourgogne au sein des territoires sous garantie impériale. Ce statut garantirait une protection formelle du Saint-Empire face à l’avancée des troupes françaises, transformant ainsi le Cercle de Bourgogne en une ligne de défense essentielle contre les troupes françaises.
La France ne va pas se priser d’utiliser la confusion et la lenteur des décisions de la politique du Saint-Empire à son avantage, on peut citer l’ambiguïté de la politique militaire de Léopold Ier qui veut préserver la paix dans ses territoires mais à la fois est en forte animosité avec Louis XIV.[11] Dès lors, Verjus va tenter d’influencer les princes individuellement par l’affection (plutôt leur angoisse de) des états d’Empire pour la France et Louis XIV : « Entre les princes de l’Empire qui viennent de se réunir à Sa Majesté par la paix, elle croit pouvoir compter assez sûrement sur l’affection du […] Aussi le Sr Verjus devra-t’il prendre soin de faire connaitre à leurs Députés les favorables sentiments de sa Majesté à leurs Maîtres ».[12] À l’aide de subsides car la Diète est apparemment très « vénale », c’est aussi un moyen utilisé par l’Espagne car : « L’on insinuerait doucement que Monsieur le Cardinal avait reçu de l’argent d’Espagne pour récompenser les amis et […] par ce moyen on tiendrait chacun en haleine afin de mieux négocier».[13] Un autre moyen éprouvé consistait à menacer subtilement, en particulier les princes dont les territoires étaient limitrophes de la France, d’être envahi dans une guerre potentielle. Cette menace subtile avait déjà dissuadé des princes de s’immiscer dans les affaires des Pays-Bas par le passé.
Tactiques et ressources des Neuveforge à la Diète
Avant que la France ne s’empare de Luxembourg, les efforts diplomatiques des Neuveforge étaient déployés avec intensité pour obtenir de l’aide militaire du Saint-Empire pour préserver cette forteresse stratégique et de combattre la présence des Français dans les Pays-Bas. Toutefois, certains princes électeurs, probablement influencés par les efforts français minimisaient l’importance de la perte de Luxembourg.[14] Tel que l’affirme Louis de Neuveforge dans une lettre à la Secrétairerie d’Etat allemande à Bruxelles du 18 mai 1684 :
«Nous avons ici des gens assez malavisés, et entre autres les députés des électeurs de Mayence et Palatin qui disent que les armes de la France sont bien entrées dans l’Empire sans Luxembourg, et que sa perte ne leur en frayera pas le chemin ; que l’Empire n’en sera pas plus inquiété qu’auparavant […].[15] »
Cependant, l’effort des Neuveforge lors d’un Congrès à la Haye porte ses fruits, certaines déclarations se montrent encourageantes et le Saint-Empire entrevoyant les conséquences funestes de la perte de Luxembourg. Un rescrit impérial exhorte la Diète à délibérer sur les moyens de réunir les forces nécessaires pour secourir Luxembourg et autoriser l’envoi de troupes.[16] Malheureusement, la mobilisation de ces troupes prend trop de temps, et Luxembourg, ainsi que sa forteresse, est prise par la France en 1684.[17] « Voilà le coup de partie, il ne se trouve plus de milieu[18] »déclare Louis de Neuveforge dans une lettre adressée à la Secrétairie d’Etat allemande le 15 juin 1684, qualifiant cette chute de Luxembourg de «[…] perte incomparable pour le public.» [19]
La récupération de Luxembourg s’avère longue et particulièrement ardue. Consciente de l’importance stratégique de la ville, la France veut la garder. Pour une éventuelle restitution, la France exigeait des compensations exorbitantes. Condition que les Habsbourg ne peuvent accepter, ce qui complique davantage la position de Louis de Neuveforge, qui dénonce ces conditions dans une Adresse des conseillers impériaux à l’Empereur, plus tardive datée du 21 juin 1697.
« […] Cependant, il a été dit à juste titre que les équivalents proposés par la France jusqu’à présent sont totalement inacceptables. De plus, il devrait s’efforcer de faire en sorte que la Couronne de Suède enlève complètement à la France tout espoir que Sa Majesté Impériale et l’Empire abandonnent leur revendication de la restitution de Strasbourg, du Luxembourg et des territoires annexés.[20] »
Au cours de ces négociations, la situation évolue. En parallèle des guerres en Europe, les ambitions de Léopold Ier se tournent vers la région du Danube, la Hongrie et Belgrade. Malgré quelques revers, il parvient à prendre l’avantage sur les Turcs de l’Empire Ottoman.[21] À partir de 1688, dans le contexte de la Guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697), les États européens s’unissent contre les nouvelles ambitions territoriales de Louis XIV. Le 12 décembre 1688, fort de ses victoires contre les Turcs, Léopold Ier peut recentrer son attention sur la situation européenne. Il s’impose alors en exigeant que l’agression française soit reconnue comme une déclaration de guerre.[22] Dans ce mouvement d’idée, les princes électeurs sont presque tous unanimes de faire barrage aux ambitions françaises à la Diète – contrairement à la situation antérieure, en faveur des intérêts du Saint-Empire et de l’Espagne, comme l’affirme Louis de Neuveforge dans une lettre adressée à la Secrétairie d’Etat allemande, le 5 aout 1688.[23] Même si l’archevêque de Mayence était le dernier soutien de Louis XIV à la Diète impériale, son représentant avait « fait citer le décret sans le renvoyer auparavant a son Altesse Electorale son maitre, comme il a toujours fait lorsqu’il s’agissait de la moindre chose qui n’était pas au gré de la France».[24]
Les Neuveforge ont déployé plusieurs stratégies pour influencer les négociations. D’une part, la Diète permettait de soumettre des pétitions et propositions, qui étaient ensuite approuvées ou rejetées par les membres présents après une procédure de plusieurs étapes compliqués de plusieurs pourparlers. Dans le cadre des négociations, les Neuveforge ont aussi utilisé des votes pour mobiliser le soutien des différents princes et représentants. Cet effort constant de Louis de Neuveforge pour unir le Cercle de Bourgogne à la garantie de l’Empire se manifeste dans les débats à la Diète le 9 juillet 1690 en démontrant que les Pays-Bas espagnols formaient un Cercle et sont grâce à cette qualité membre de l’Empire.[25] Un vote daté du 13 septembre 1697, présente un exemple spécifique de cette stratégie :
« Il ressortirait des archives de 1680 et 1681 que Sa Majesté Impériale a toujours offert decontribuer à la défense et à la préservation du Saint-Empire romain germanique contre toutes les forces hostiles, apportant avec elle son quota et son contingent […] il ne fait aucun doute que Sa Majesté, comme l’a appris l’excellent vote autrichien et toutes les considérations connexes, se conformera à la résolution finale qui émergera de ce conseil princier.[26] »
Premièrement, Louis de Neuveforge s’appuie sur des archives antérieures pour justifier son argumentaire. Il utilise notamment un extrait de 1690 de Léopold Ier, qui témoigne de la volonté constante de l’Empereur de défendre le Saint-Empire contre « les forces hostiles », désignant principalement la France et ses alliés. Ce vote illustre la confiance de Neuveforge envers l’Empereur et la Diète impériale, persuadé que ce dernier s’y référera dans sa prise de décision. Cela mettait aussi en lumière le lien étroit entre ces institutions (l’Empereur et la Diète), contrairement à la perception qu’en avaient les Français, qui les considéraient comme isolées et manipulables dans ces négociations. Un vote daté du 11 mars 1698, présente des similitudes avec le vote du 13 septembre 1697 tout en révélant de nouvelles dynamiques, apportant un éclairage supplémentaire sur l’évolution des rapports de force au sein du Saint-Empire.
« Le Cercle bourguignon n’a jamais failli dans son rôle de soutien au Saint-Empire romain germanique. Cependant, il avait souffert des guerres précédentes, dévasté par les armées des ennemis et des alliés. Pillée, bombardée et assiégée, la région subissait de lourdes pertes et faisait face à la ruine financière. La récupération de forteresses comme Philippsburg, défense vitale pour l’Empire, serait donc coûteuse et difficile, mais vue comme une contribution à la défense globale de l’Empire.[27] »
Ce vote essaye de démontrer que le Cercle de Bourgogne s’était toujours engagé pour préserver les intérêts du Saint-Empire, tout en soulignant subtilement que ces conflits ont conduit à la ruine progressive de celui-ci. Cette situation s’inscrit directement dans la stratégie de la « politique des réunions » de Louis XIV, qui ne reculait devant aucune mesure pour étendre ses possessions. Selon Neuveforge, c’est l’image qu’il essayait de peindre, la perte des parties du Cercle ou du cercle entier, serait une menace pour la sécurité de tout l’Empire. La France, dixit Neuveforge, n’hésitait pas à recourir aux bombardements, aux pillages et aux emprisonnements dans les territoires annexés du Cercle de Bourgogne, transformant ainsi cette politique expansionniste en une véritable violence juridique et physique.[28]
Défis des Neuveforge
Dans ces négociations menées par les Neuveforge dans l’intérêt de l’Espagne, plusieurs défis structurels liés aux sphères du pouvoir, de l’économie et des relations compliquent sa position de force, révélant finalement la faiblesse de l’Espagne. Un premier élément sont les guerres qui font rage à la fin du XVIIe siècle, celles-ci, que l’Espagne, à cause de sa faiblesse, doit mener avec le soutien d’alliés (Provinces-Unies, Saint-Empire allemand, Angleterre) contre la France qui est à son apogée durant cette période.[29] Pour mener ces guerres il faut des troupes, étant donnée ces alliances avec d’autres pays, les troupes espagnoles sont accompagnées de régiments d’autres pays, mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle l’Espagne réalise des alliances militaires. Les troupes proprement espagnoles étaient aussi peu nombreuses.[30] Un autre problème majeur de ces guerres réside dans leur coût exorbitant : les troupes doivent être payées, ce qui impose une lourde charge financière aux États. Et : il ne s’agit pas d’un seul conflit, mais d’une succession ininterrompue de guerres, avec peu ou pas de trêves, épuisant ainsi les ressources disponibles, notamment en Espagne et dans d’autres royaumes européens.
Les conquêtes de Louis XIV se déroulent dans les zones les plus exposées : la châtellenie de Furnes, la Flandre gallicane et occidentale, le Hainaut, l’Entre-Sambre-et-Meuse et le sud du Brabant.[31] Les Pays-Bas espagnols sont une source d’imposition supplémentaire et qui se trouve envahie ou assiégé comme ce qui se passe au Luxembourg en 1684, ou Charleroi (1693) et bombardé, comme c’est le cas pour Bruxelles en aout 1695. De plus que comme avancé précédemment, la politique Française lors de ses conquêtes étaient assez brutale, avec une politique de pillage et d’emprisonnement.[32] Ce qui peut provoquer de nombreux mécontentements parmi les sujets espagnoles des Pays-Bas, mais ces conflits peuvent également conduire à la destruction de propriétés, baissement de population, pauvreté et déclin économique. À ces circonstances on peut également ajouter les disettes et les épidémies qui menaient à affaiblir les ressources dont disposait l’Espagne[33].
A cette situation difficile pour l’Espagne va s’ajouter une difficulté supplémentaire. Le souverain, Charles II, roi de l’Espagne (1665-1700), va élire Maximilien II Emmanuel (1662-1726), gouverneur des Pays-Bas espagnols (1691-1701). Comme représentant du roi, le prince électeur « Max Emmuel » incarne un grand pouvoir durant cette période.[34] Il se mouvait dans un contexte de renforcement du pouvoir princier, ce qui explique que son rôle va être assez problématique puisqu’il va suivre ses propres idées à Bruxelles plutôt que de réellement se coordonner avec Madrid. D’autres exemples relatifs à la négociation de la récupération montrent que cette difficulté à traiter avec Maximilien II Emmanuel ce qui va compliquer les efforts diplomatiques des Neuveforge, comme on le voit dans le même rapport mentionné plus haut dans lequel on peut lire que Maximilien II Emmanuel ne comprend pas pourquoi l’empereur allemand empêcherait le roi d’Espagne d’obtenir quelque chose de mieux que le Luxembourg si il était possible.[35]
En ce qui concerne les négociations autour de Luxembourg, Maximilien II Emmanuel (et quelques de ces conseillers à Bruxelles, notamment le trésorier-général Jan van Brouchoven, comte de Bergeyck) préfèrerait Luxembourg contre des terres plus riches et mieux connectées. Mais, les Habsbourg espagnols refusent d’échanger quoique ce soit contre la place stratégique de Luxembourg et veulent la restitution complète de Luxembourg, sa forteresse et tout ce qui y était contenu comme mentionné dans les instructions pour les délégués impériaux dans les négociations de paix, daté du 15 juin 1697 dans lesquelles on peut lire que les impériaux refusent d’échanger Luxembourg contre quelconque substitut et qu’ils veulent la restitution de la ville, forteresse, munitions et documents exactes stockés dans celle-ci.[36]
Cette directive impériale explique les motifs de l’Empire et de l’Espagne datée du 17 août 1697. Cette exigence des Habsbourg visant à récupérer le Luxembourg semble difficile à saisir pour l’électeur de Bavière, ce qui complique les efforts des Neuveforge. Par son attitude, il entrave leurs négociations et gêne leur démarche diplomatique, rendant la mission de Neuveforge encore plus délicate. Cette directive impériale explique les motifs de l’Empire et de l’Espagne datée du 17 août 1697, En ignorant les mises en garde des Neuveforge, Maximilien complique son travail. De plus, cette incompréhension de l’importance de Luxembourg pose problème car la ville et surtout sa forteresse comme vu précédemment occupe une position plus que stratégique pour la défense, sa capture définitive met en danger les territoires du Saint-Empire et les princes électeurs qui tomberaient sous domination française.
« […] Ayant été informé que Son Altesse (Maximilien II Emmanuel) est elle-même encline à un équivalent pour le Luxembourg et cherche même l’approbation de l’Espagne pour un tel arrangement, vous devez lui faire comprendre que cela causerait une grande détresse dans tout l’Empire.[37] »
De plus, cette incompréhension de l’importance de Luxembourg pose problème car la capture définitive de Luxembourg mettrait en danger les territoires du Saint-Empire et les princes électeurs qui tomberaient sous domination française. Comme on lisait dans une directive impériale :
« Ce serait préjudiciable non seulement à nous et à notre Maison d’Autriche, mais aussi aux Pays-Bas espagnols et à tous nos alliés. En cédant le Luxembourg, l’Empire serait complètement coupé des Pays-Bas espagnols. Le cercle de Basse-Rhénanie-Westphalie ainsi que les grands électeurs et princes qui s’y déroulaient tomberaient définitivement sous la domination française. En conséquence, dans les conflits futurs, ils seraient incapables de résister à la France ou d’apporter un soutien à l’alliance.[38] »
Résultat des efforts diplomatiques des Neuveforge
Alors, Louis de Neuveforge cherchait à façonner une image alarmante de la situation du Cercle de Bourgogne, voire de l’ensemble de ses territoires. Selon lui, la conquête et l’annexion de ces régions constituaient un péril majeur pour le Saint-Empire lui-même. Cependant, la restitution exacte semble difficile, voire impossible, dans les conditions présentes. Une remarque de Louis de Neuveforge, adressée dans une lettre à la Secrétairie d’Etat allemande du 16 mai 1684, c’est-à-dire de la période précédant le traité de Ratisbonne, illustre bien la situation désespérée qui n’a guère évolué depuis la prise de la forteresse : « je ne vois pas comment l’on pourra convenir pour former une résolution. Que l’on marchande tant que l’on voudra, il faudra bon gré mal gré qu’enfin tôt ou tard tout vienne au sort des armes.[39] » Cet apport des armes dont parle Neuveforge s’incarnera en la Guerre de la Ligue d’Augsbourg qui contribuera à rééquilibrer les puissances européennes et à tempérer les ambitions de Louis XIV. Bien que cette guerre puisse être perçue comme un revers pour la diplomatie menée par les Neuveforge, il convient de nuancer cette analyse, car il ne s’agit pas d’une défaite totale.
Bien que la perte du Luxembourg et de sa forteresse représente une catastrophe d’un point de vue militaire, le traité de paix signé le 17 août 1697 révèle un rapprochement stratégique entre les Pays-Bas espagnols et le Saint-Empire romain germanique. L’Espagne n’étant plus capable de défendre de façon adéquate les Pays-Bas, les Neuveforge aident à renforcer les contacts avec l’Empire, même si cela ne se manifeste pas par des troupes concrètes sur un champ de bataille. À la Diète, l’influence des représentants français est diminuée et celle des « bourguignons » a su se préserver. En outre, on peut rendre compte d’une défaite finale de la France qui forcé par la guerre de la Ligue d’Augsbourg doit rendre Luxembourg, et dès lors cela montre l’alliance efficace entre Saint-Empire et Pays-Bas espagnols lors du traité de Ryswick (1697).
« La ville et la forteresse de Luxembourg, dans l’état où elles se trouvent actuellement, avec la province et le duché de Luxembourg […] de bonne foi, dont Sa Majesté jouira comme cela a été fait ou aurait pu être fait pendant et avant le Traité de Nimègue, sans aucune rétention ni réserve, sauf pour ce qui a été cédé à Sa Majesté Très Chrétienne par le traité de paix précédent.[40] »
Conclusion générale
Bien que la diplomatie menée par les Neuveforge n’ait pas permis de mobiliser linea recta une intervention impériale ou de résoudre définitivement la question luxembourgeoise, elle parvient maintenir les relations avec l’empire et éviter une isolation. Elle a joué un rôle fondamental dans la préservation d’un dialogue entre les branches espagnole et impériale des Habsbourg. Malgré la contre-offensive française, les négociations à la Diète ont contribué à renforcer une coordination stratégique qui s’est prolongée au début du XVIIIe siècle. Par ailleurs, l’échec relatif de la diplomatie face aux ambitions de Louis XIV met en évidence la fragilité croissante de l’Espagne, affaiblie par des facteurs militaires, économiques et politiques. Enfin, il convient de souligner que cette étude repose sur un corpus limité dans sa chronologie. Une analyse approfondie des trois volumes des sources d’archives permettrait d’examiner plus largement la documentation disponible, notamment en ce qui concerne les mots employées et la nature des documents, offrant ainsi une compréhension plus complète du rôle diplomatique des Neuveforge.
[1] AUERBACH, B., Paris, Recueil des instructions, p. XLI-XLII.
[2] AUERBACH, B., Recueil des instructions, p. LX.
[3] AUERBACH, B., Recueil des instructions, p. LXVII.
[4] AUERBACH, B., Recueil des instructions, p. 40.
[5] PANCKOUKE AGASSE, C-J., Encyclopédie méthodique : par ordre et matières, t. 6., s.l., 1804, p. 569, https://books.google.fr/books?id=Ose99392zogC&hl=fr&source=gbs_navlinks_s
[6] AUERBACH, B., Recueil des instructions, p. 40.
[7] Louis XIV choisit ses négociateurs, 2001, http://chrisagde.free.fr/bourb/l14guerre.php3?page=34
[8] Mémoire pour servir d’instruction au Seigneur Verjus, dans AUERBACH, B., Recueil des instructions, p. 42.
[9] BLUCHE, F., Dictionnaire du Grand Siècle, p. 1090-1091.
[10] Mémoire pour servir d’instruction au Seigneur Verjus, dans AUERBACH, B., Recueil des instructions, p. 42.
[11] SCHILLINGER, J., La Franche-Comté et les enjeux diplomatiques, p. 534.
[12] Mémoire pour servir d’instruction au Seigneur Verjus, dans AUERBACH, B., Recueil des instructions, p. 46.
[13] SCHILLINGER, J., La Franche-Comté et les enjeux diplomatiques, p. 537.
[14] HUBEAUX, C., Représentation et intérêts du cercle de Bourgogne, p. 90-91.
[15] HUBEAUX, C., Représentation et intérêts du cercle de Bourgogne, p. 90-91.
[16] HUBEAUX, C., Représentation et intérêts du cercle de Bourgogne, p. 90-91.
[17] HUBEAUX, C., Représentation et intérêts du cercle de Bourgogne, p. 90-91.
[18] HUBEAUX, C., Représentation et intérêts du cercle de Bourgogne, p. 90-91.
[19] HUBEAUX, C., Représentation et intérêts du cercle de Bourgogne, p. 90-91.
[20] Adresse des conseillers impériaux à l’Empereur, 457, 21 juin 1697, Vienne, dans MAYR, J-K., Urkunden und Aktenstücke, p. 493.
[21] BOIGELOT, H., La période moderne, p. 147 : VALLAUD, D., 1995, p. 552.
[22] HUBEAUX, C., Représentation et intérêts du cercle de Bourgogne, p. 98.
[23] HUBEAUX, C., Représentation et intérêts du cercle de Bourgogne, p. 97.
[24] HUBEAUX, C., Représentation et intérêts du cercle de Bourgogne, p. 97.
[25] HUBEAUX, C., Représentation et intérêts du cercle de Bourgogne, p. 102.
[26]Vote de l’envoyé bourguignon de Neuveforge, 468, 13 septembre 1697, Ratisbonne, dans MAYR, J-K., Urkunden und Aktenstücke, p. 498-499.
[27] Vote de l’envoyé bourguignon de Neuveforge, 474, 11 mars 1698, Ratisbonne, dans MAYR, J-K., Urkunden und Aktenstücke, p. 503-504.
[28] RIDDER, B. SOEN. V. and all., Transregional Territories, p. 231.
[29] JANSSENS, P. et al., La Belgique Espagnole, p. 46.
[30] JANSSENS, P. et al., La Belgique Espagnole, p. 55.
[31] JANSSENS, P. et al., La Belgique Espagnole, p. 131.
[32] RIDDER, B. SOEN. V. and all., Transregional Territories, p. 231.
[33] JANSSENS, P. et al., La Belgique Espagnole, p. 96 et 131.
[34] VALLAUD, D., Dictionnaire historique, s.l. 1995, p. 182 ; Maximilien II Emmanuel, dans IOS : Biographisches Lexikon zur Geschichte Südosteuropas, https://www.biolex.ios-regensburg.de/BioLexViewview.php?ID=1317
[35]Rapport de l’envoyé impérial comte Kaunitz à l’Empereur, 460, 4 mars 1697, dans MAYR, J-K., Urkunden und Aktenstücke, p. 494.
[36] Instructions pour les délégués impériaux dans les négociations de paix, 462, 15 juin 1697,Vienne, dans MAYR, J-K., Urkunden und Aktenstücke, p. 495.
[37] Directive impériale à l’envoyé du comte Auersperg à Bruxelles, 462, 17 août 1697,Vienne, dans MAYR, J-K., Urkunden und Aktenstücke, p. 497-498.
[38] Directive impériale à l’envoyé du comte Auersperg à Bruxelles, 462, 17 août 1697,Vienne, dans MAYR, J-K., Urkunden und Aktenstücke, p. 497-498.
[39]HUBEAUX, C., Représentation et intérêts du cercle de Bourgogne, p. 92.
[40] Traité de paix entre le roi d’Espagne et le roi de France, 470, 20 septembre 1697, Rijswijk, dans MAYR, J-K., Urkunden und Aktenstücke, p. 499-501.