Ein kleines Land mit großen Geschichten in vielen Sprachen. Ein Interview mit Prof. Dr. Jeanne Glesener über die Literatur Luxemburgs

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Ein Gespräch mit Prof. Dr. Jeanne Glesener (auf Französisch) über die Vielsprachigkeit, die Entwicklung und die internationale Position der luxemburgischen Literatur – und darüber, warum sie weit mehr ist als Identitätsdiskurs und Kleinliteratur: ein vielfältiges literarisches Labor globaler Themen.

Jeanne E. Glesener est professeure associée en littérature luxembourgeoise à l’université du Luxembourg. A part de la littérature luxembourgeoise, sa recherche porte sur les petites littératures européennes et leur relation à la littérature mondiale ainsi que sur le plurilinguisme et l’interculturalité en littérature.

Définir la littérature luxembourgeoise

Saskia Vandenbussche : Comment définir précisément la littérature luxembourgeoise ? Doit-on se baser sur la langue d’écriture (luxembourgeois, mais aussi les autres langues officielles du pays) ? Faut-il plutôt considérer les œuvres produites et/ou financées au Grand-Duché, ou celles écrites par des auteurs de nationalité luxembourgeoise ?

Prof. Dr. Jeanne Glesener :

La définition de la littérature luxembourgeoise s’écarte quelque peu des critères habituellement appliqués aux littératures nationales.

D’une part, il s’agit d’une littérature plurilingue, écrite en luxembourgeois, en français et en allemand – les trois langues administratives du pays – mais également en anglais. Bien que l’anglais ne soit pas une langue officielle au Grand-Duché, il occupe aujourd’hui une place croissante et compte parmi les langues littéraires du pays. Fait révélateur : pour la première fois, en 2025, le Prix Servais, la distinction littéraire annuelle la plus prestigieuse du Luxembourg, a été attribué à un roman écrit en anglais – M for Amnesia (Black Fountain, 2024) d’Anne-Marie Reuter.

D’autre part, la littérature luxembourgeoise peut également être définie par rapport à son champ littéraire. Dans cette perspective, elle regroupe les œuvres produites au Grand-Duchépar des auteurs de nationalité luxembourgeoise et des résidents de différentes origines. Être considéré comme un auteur luxembourgeois ne dépend donc pas de la nationalité en premier lieu : il s’agit avant tout d’une appartenance au champ littéraire luxembourgeois, c’est-à-dire d’un engagement dans ses réseaux, ses institutions et sa vie culturelle. À l’inverse, un écrivain luxembourgeois publiant exclusivement à l’étranger, dans une langue peu lue au Luxembourg, pas présent dans le champ et dont l’œuvre ne connait pas de réception locale serait difficile à rattacher à la littérature luxembourgeoise au sens strict.

Campus de Belval, Uni Luxemburg
© Saskia Vandenbussche

Histoire et évolution de la littérature luxembourgeoise

Saskia Vandenbussche : Est-ce possible de distinguer de grandes périodes de la littérature luxembourgeoise ? Comment la littérature luxembourgeoise a évolué ? Comment se porte-t-elle aujourd’hui ?

Prof. Dr. Jeanne Glesener

La question de la périodisation de la littérature luxembourgeoise est complexe et a longtemps suscité le débat. Autrefois, on considérait qu’il n’existait pas de grands mouvements ni de périodes clairement délimitées. Aujourd’hui, cette vision a évolué. Sous l’influence des théories de la littérature comparée et des Cultural Studies, on tend à privilégier une approche moins strictement chronologique, centrée sur des points de convergence – littéraires, mais aussi sociaux, politiques ou culturels.

Pour le cas luxembourgeois, il est désormais possible d’identifier plusieurs grandes périodes :

Le XIXᵉ siècle est marqué par le romantisme nationaliste, au sens où l’entend Joep Leerssen dans Encyclopedia of Romantic Nationalism in Europe (2018). La littérature luxembourgeoise de cette époque avait pour mission de dessiner les contours culturels et linguistiques de la nation, un processus comparable à celui observé ailleurs en Europe.

Le début du XXᵉ siècle correspond à une première phase d’autodétermination, articulée autour du concept de Mischkultur ou métissage culturel. Développée dans la première moitié du siècle, cette idée traduit la conscience des Luxembourgeois d’évoluer à la croisée de deux grandes traditions culturelles – française et allemande – dont ils tirent profit. Ce métissage, véritable marqueur identitaire, imprègne le discours culturel et littéraire, ainsi que les pratiques d’écriture : les auteurs publient souvent à l’étranger et naviguent parfois entre plusieurs langues et champs littéraires.

L’après-Seconde Guerre mondiale inaugure une seconde période d’autodétermination, qui pose les bases de la littérature contemporaine. Les années 1970 et 1980 voient une profonde refonte thématique et idéologique : les écrivains s’interrogent sur ce que cela signifie d’être un auteur luxembourgeois dans un contexte plurilingue et transnational. Cette période marque une étape de maturité dont la littérature actuelle peut être considérée comme l’aboutissement.

Aujourd’hui, la littérature luxembourgeoise contemporaine connaît un nouvel élan, plus international. Elle s’accompagne d’une institutionnalisation et d’une professionnalisation croissante du champ littéraire : structures de soutien, prix, résidences, et présence accrue sur la scène européenne.

Bibliothèque nationale du Luxembourg
© Saskia Vandenbussche

Les œuvres écrites en langue luxembourgeoise

Saskia Vandenbussche : Vous avez souligné que les écrivains(e)s luxembourgeois se situent à la croisée de deux cultures linguistiques, naviguant parfois entre plusieurs langues et champs littéraires. Cela soulève la question : existe-t-il une production significative d’œuvres écrites en luxembourgeois ? Étant donné que la langue luxembourgeoise n’a été standardisée que dans les années 80 et que le nombre de locuteurs est limité au territoire, y a-t-il un marché pour une littérature en langue luxembourgeoise ?

Prof. Dr. Jeanne Glesener

La littérature écrite en luxembourgeois se porte bien. Elle s’est développée parallèlement à la production en français et en allemand, tout en suivant une évolution spécifique, liée notamment à la génération des auteurs et au contexte politique.

Aujourd’hui, la création littéraire en luxembourgeois profite encore du renouveau initié dans les années 1980. La production actuelle en luxembourgeois est donc importante, et l’on observe un phénomène intéressant : de nombreux auteurs qui débutent dans une autre langue – souvent celle de leurs études, comme l’allemand, le français ou l’anglais – finissent par écrire aussi en luxembourgeois. C’est devenu une pratique courante et fructueuse : ces écrivains passent d’une langue à l’autre avec aisance, selon le genre ou le projet.

On peut citer par exemple Elise Schmit, qui a d’abord écrit en allemand avant de se tourner vers le luxembourgeois pour une pièce de théâtre, tout en écrivant également en anglais. De même, Samuel Hamen, Anne-Marie Reuter, Tullio Forgiarini, Claudine Muno et Guy Rewenig illustrent cette mobilité linguistique.

Le marché littéraire et le lectorat

Saskia Vandenbussche : En ce qui concerne le marché et le public, la littérature luxembourgeoise s’adresse-t-elle avant tout à un lectorat national, ou parvient-elle également à toucher des lecteurs à l’étranger ? Autrement dit, les œuvres francophones, germanophones ou anglophones produites au Luxembourg trouvent-elles un écho au-delà des frontières du pays ?

Prof. Dr. Jeanne Glesener

En théorie, la littérature luxembourgeoise, étant donné son caractère plurilingue, possède tous les atouts pour circuler au-delà des frontières, notamment dans les espaces francophones et germanophones. En pratique, cependant, la situation est beaucoup plus complexe. Le principal obstacle réside dans la petitesse du marché luxembourgeois : les catalogues des éditeurs restent limités, ce qui rend difficile l’accès aux grands distributeurs. Or, pour qu’une œuvre puisse réellement circuler à l’international, il faudrait d’abord qu’elle figure dans un catalogue relayé par un distributeur capable d’en assurer la promotion sur un territoire plus vaste. À ce niveau, le Luxembourg atteint rapidement ses limites : les catalogues des éditeurs ne peuvent pas contenir des centaines de nouvelles parutions chaque année. Ce sont là des contraintes structurelles du marché.

D’un autre côté, les auteurs luxembourgeois sont bel et bien présents à l’étranger. Plusieurs d’entre eux, écrivant dans différentes langues, ont reçu d’importants prix littéraires internationaux. Par ailleurs, de plus en plus d’auteurs publient à la fois au Luxembourg et à l’étranger, ou choisissent directement de publier hors du pays. Leur position à la croisée de plusieurs champs littéraires facilite naturellement la circulation de leurs œuvres.

Littérature nationale et identité culturelle

Saskia Vandenbussche : Vous avez évoqué l’inscription de la littérature luxembourgeoise dans la tradition du romantisme nationaliste en vogue dans l’Europe du XIXe siècle, qui consistait à définir les contours culturels et linguistiques du pays, ainsi que la position particulière des auteurs luxembourgeois, situés à la croisée de plusieurs cultures et langues. Dans quelle mesure la littérature luxembourgeoise contribue-t-elle aujourd’hui encore à la construction ou à la consolidation d’une identité culturelle et nationale propre au Luxembourg ?

Prof. Dr. Jeanne Glesener

Pour moi, il y a toujours cette idée que la littérature, comme tout art, produit des récits et des figures d’identification. À ce titre, elle contribue effectivement à la construction d’un répertoire de positions et de narrations spécifiques à un territoire. Cette dynamique existe aussi au Luxembourg, comme dans d’autres pays. Cependant, au Luxembourg, cette dimension est désormais très effacée. Si l’on interroge une personne lambda dans la rue, elle ne connaîtra sans doute que les écrivains nationaux du XIXe siècle. Par ailleurs, comme la littérature luxembourgeoise n’est pas enseignée à l’école et que ses récits ne sont donc pas médiés à un public plus large, les figures et narrations littéraires contemporaines restent largement méconnues. Dès lors, il devient difficile d’affirmer que la littérature contribue réellement aujourd’hui à un sentiment d’identification culturel.

Luxemburg, Grund, Alzette
© Saskia Vandenbussche

Par ailleurs, il me semble impératif de dépasser la seule question de l’identité, du plurilinguisme ou de l’interculturalité pour comprendre ce qu’est réellement la littérature luxembourgeoise. Avant tout, c’est une littérature à part entière et en cela une manière d’interroger le monde et ses mutations.
Certes, elle aborde les thèmes de la migration ou des enjeux linguistiques, mais elle englobe bien d’autres sujets d’importance sociale et contemporaine. Les œuvres ‘luxembourgeoises’ abordent une grande diversité de thèmes : le changement climatique, l’intelligence artificielle, le capitalisme, la mémoire tout autant que la société contemporaine dans son ensemble. Par exemple, Léa ou la théorie des systèmes complexes (Actes Sud, 2025) de Ian De Toffoli relie le Luxembourg aux États-Unis et au monde, en explorant le changement climatique, l’industrie pétrolière et le capitalisme à outrance. De son côté, Anne-Marie Reuter propose une réflexion presque prémonitoire sur l’impact de l’intelligence artificielle et l’optimisation de l’humain par les technologies, notamment sur les processus de mémoire, dans M for Amnesia (2024). Enfin, Tout devait disparaître (Capybara Books, 2022) de Jérôme Quiqueret traite d’un fait divers du début du XXᵉ siècle sous la forme d’un roman documentaire hybride. C’est un livre qui rencontre un grand succès et qui a été traduit en plusieurs langues.

Tout cela montre combien la littérature luxembourgeoise est multiple et ancrée dans des problématiques mondiales. Il faut donc garder l’esprit ouvert et ne pas enfermer les « petites littératures » dans des thèmes récurrents soi-disant liés à leur territoire respectif. Elles gagnent à être lues pour la diversité de leurs voix et de leurs sujets.

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Dr. Saskia Vandenbusche

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